RÊVERIE

Dans la cinquième Promenade, en une des plus belles pages de la prose poétique et musicale française, Rousseau évoque son séjour à l'île de Saint-Pierre.

"   Quand  le soir approchait, je descendais des cimes de  l' île et j'allais volontiers m'asseoir au bord du lac sur la grève dans quelque asile caché;  là, le bruit des vagues et l'agitation de l'eau, fixant mes sens et chassant de mon âme toute autre agitation, la plongeaient dans une rêverie délicieuse..."

Le flux et le reflux de l'eau créent le vide en son âme et lui permettent de se laisser envahir par la rêverie.

" De quoi jouit-on dans une pareille situation?  se demande-t-il. De rien d'extérieur à soi, sinon de soi-même et de sa propre existence..."

Hors de l'atteinte des hommes, en communion étroite avec la nature, bercé par les vagues qui créent ce mouvement indispensable pour le tenir éveillé, Rousseau se laisse envoûter par le rêve et ne jouit plus que du sentiment de l'existence.  Le monde de la sensation et celui de la rêverie se confondent. Nature et rêve s'identifient. Rousseau remonte en quelque sorte à la source, à l'origine première de l'être. Il se sent maître de lui-même, en paix avec sa conscience et avec l'humanité. C'est pourquoi, il a osé écrire :

" Tant que dure cet état, on se suffit à soi-même comme Dieu ", c'est-à-dire qu'on est capable de goûter une pleine félicité.

Le secret du bonheur consiste donc à se replier sur soi, à se recueillir, à se concentrer en soi pour éprouver son exixtence. Comme l'a si bien écrit, le Père André Ravier en 1941:

" Il s'agit pour l'homme d' intérioriser son bonheur, de déplacer son désir de l'extérieur à l'intérieur, de passer de ce qui est hors de lui-même à ce qui est en lui-même ".

                                                                                         Bernard  Gagnerin