UNE HISTOIRE
GEORGES
Un texte de Martine-Marie Muller
On le rencontrait souvent sur le banc, au bout de notre rue. Toujours propre et bien mis, il parlait gentiment aux passants. Sa vieille maman venait le chercher, lui disait qu'il était l'heure du repas, elle le prenait par la main et ils rentraient. Un soir d'hiver, mon mari l'avait trouvé errant, l'air perdu. Sa maman avait été hospitalisée, on l'avait placé à Montreuil, d'où il s'était sauvé pour revenir dans son quartier. Mon mari l'avait accompagné au métro et on n'avait plus revu Georges pendant des mois et des mois. Et voilà qu'il a réapparu, toujours propre, bien habillé dans un gros manteau d'hiver, un peu amaigri, le visage barré d'une belle moustache de mousquetaire.
Mon mari s'assoit près de lui, lui demande de ses nouvelles et, toujours aimable, Georges raconte.
" Maman est morte, soupire-t-il. Enfin, c'est ce qu'on m'a dit. Ma soeur aussi le dit. Elle a vendu l'appartement. Est-ce que ce restaurant était déjà là ?"
Mon mari explique que la pizzeria est devenue un restaurant japonais.
" Le quartier change. C'est parce que maman n'est plus là. Je n'ai pas la clé. Je n'ai pas pu entrer dans l'immeuble. Peut-être que maman est toujours là."
Mon mari lui demande où il vit. Toujours à Montreuil. Il y est bien. Les gens sont gentils. Mais sa maman lui manque. Il se tait. Le vent de novembre balaie les feuilles mortes des tilleuls. Geoges suit des yeux des mamans qui se pressent sur le trottoir, poussant d'un pas vif une poussette encapuchonnée.
" Je sais bien que c'est vrai, que maman est morte", reprend-il. Il se tait à nouveau. Un groupe d'enfants rieurs revient de l'école, se bousculant de leur cartable sur le dos.Georges sourit.
" C'est bien, quand on est enfant. Maman est toujours là. D'ailleurs, maman est toujours là avec moi. A côté de moi. Toujours."
Mon mari ému lui dit:" Je sais. Ma maman est morte quand j'avais 14 ans. Mais elle aussi, elle est toujours là."
Georges lui sourit. " On va au métro, avec nos mamans?"
Et ils partent sous les grands arbres dénudés de l'avenue Laumière, baignée de la lumière d'automne qui décline doucement.